Les outardes, ces messagères. Lorsqu’elles nous quittent, à l’automne, elles nous confirment l’arrivée imminente de l’hiver, au grand dam de plusieurs d’entre nous. J’avoue que ce grand départ me donne le cafard. J’ai tellement hâte de les revoir et surtout de les réentendre bavarder à plein ciel (de quoi, au juste?). C’est un spectacle qui m’épatera toujours : des milliers d’oiseaux trimbalant un porte-voix avec lequel ils nous annoncent le retour de la nouvelle saison.
Elles ont une signification particulière pour moi. J’ai souvenir de cette splendide envolée d’outardes, juste au-dessus de nos têtes, famille et amis, à la sortie des funérailles d’un être cher, il y a de cela plusieurs printemps. Même dans des circonstances tristes, elles apportent un brin de réconfort et symbolisent l’espoir des beaux jours.
J’ai fréquenté quelque temps un homme qui leur vouait une fascination, en tant que chasseur – j’ai même dégusté de l’outarde à plusieurs reprises. C’est dans cette période que j’ai appris qu’elles pouvaient s’installer en milieu urbain et qu’elles étaient facilement repérables. Il suffit de connaître leur routine : elles se déplacent au-dessus des résidences, par dizaines, parfois par centaines, toujours au même moment, matin et soir vers des lieux qu’elles auront prédéterminés. C’est là qu’elles s’abreuvent, s’alimentent et dorment.
À force de m’intéresser à cet oiseau, je remarque qu’il est beaucoup plus présent que je ne le crois dans mon environnement. Un peu de verdure, un plan d’eau ou une flaque créée par une averse, et voilà que j’en croise, à pied ou à vélo. Je suis émerveillée par chacune de mes rencontres.
En 2020, en pleine pandémie, mes nombreuses promenades matinales ou d’avant couvre-feu m’incitent à explorer des coins méconnus de ma propre ville. Tout près de chez moi, je déniche un sentier conduisant à un lac artificiel joliment aménagé où se tient… une outarde. Elle est là chaque jour, même heure, même poste. Je peux facilement m’en approcher, jusqu’à enfreindre la règle des 2 mètres de distanciation sociale! Je la prénomme affectueusement Béatrice.

Quelques semaines plus tard, ô surprise, Béatrice n’est plus seule! Une outarde adulte l’accompagne et sept petits lui tournent autour. Je découvre, en fait, que Béatrice est un mâle (ou un autre genre de la famille LGBTQ++, mais ça, je ne le lui ai pas demandé) et est assurément le papa de cette couvée. Avant la naissance des bébés, il montait la garde près du nid de sa douce (qui était d’ailleurs très bien dissimulé).

J’ai donc le privilège de voir grandir cette belle marmaille et d’étudier la dynamique familiale de l’outarde. Le père, que j’ai rebaptisé Béatrick, est très protecteur. Quand je m’approche des oisillons, il s’avance vers moi et ouvre son bec comme pour crier, mais il n’en sort aucun son. Je comprends qu’il veut me faire peur. La fervente groupie que je suis n’est clairement pas la bienvenue parmi les siens! Il vaut mieux déguerpir, car je ne veux surtout pas faire les manchettes, comme cette dame attaquée par un fameux dindon sauvage (qui avait également détruit son « couch »).

Vous comprendrez que mes marches et séances de jogging furent plus nombreuses ce printemps-là. J’observe et je jubile! En si peu de temps, les petits suivent leurs parents, d’abord sur le lac, ensuite dans les airs. Les oisillons passent d’un duvet jaune à un duvet foncé., puis à un mélange de duvet et de plumes, auquel s’ajoute un cou trop long pour leur corps (des ados!). Pour finir, devenus adultes, ils revêtent leur plumage, avec toute l’élégance qu’on leur connaît.

Après quelques mois parmi nous, elles m’envoient le signal qu’il est temps que je me mette aux sports d’hiver. Mes marches dans le sentier encerclant le lac se sont transformées en slalom pour éviter les nombreux excréments de cette tribu, qui peut maintenant atteindre 60 individus (plusieurs familles se sont greffées à la première). Ça irait vraiment beaucoup mieux avec mes skis!

Je ne sais si j’ai recroisé Béatrick, mais d’année en année, plusieurs de ses semblables s’installent toujours au même endroit. Les outardes m’inspirent réellement. Elles sont une ode au temps qui passe, au cycle de la vie. En les voyant partir puis revenir, elles me font réaliser que notre route est pavée de naissances et de pertes, de douleur et de bien-être, de soleil et de noirceur, de chaud et de froid, et, par-dessus tout, de renouveau.
Merci, Béatrick, pour ces précieux enseignements.
Bon voyage et à bientôt, mes belles brunes!
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La bernache du Canada est une oie sauvage nord-américaine. On la reconnaît à son long cou et à sa tête noire, sertie d’une mentonnière blanche. Son corps est de couleur gris-brun, sauf son croupion, qui est blanc. Les plus petites espèces vivent au nord. Ces dernières sont également les plus grégaires. C’est pourquoi on les observe en attroupement de plusieurs familles.
Outarde ou bernache?
J’ai employé tout au long de ce texte le terme « outarde », puisque c’est le plus couramment entendu au Québec pour désigner la bernache. Or, j’apprends qu’on l’utilise à tort! Je croyais que les deux appellations faisaient référence au même oiseau. Eh bien non! L’outarde et la bernache sont des oiseaux distincts. Nos ancêtres venus d’Europe nous ont induits en erreur en nommant « outarde » celle qui n’a pas du tout les attributs de notre bernache :
- L’outarde est un oiseau terrestre (et n’a donc pas les pattes palmées);
- L’outarde ne se retrouve pas en Amérique, mais en Eurasie et en Afrique;
- L’outarde fréquente des endroits avec peu de végétation, comme les plaines et les déserts.
Pour ma part, je continuerai quand même à parler d’outarde, car il me semble que ça sonne plus doux à mes oreilles!
Mes références inspirantes
- Guide d’dentification des oiseaux de l’Est de l’Amérique du Nord
- Québec oiseaux
- Les Oiseaux du Québec
- Go oiseaux
- Passion Oiseaux
- Je vous recommande ces très beaux documentaires sur le phénomène de la migration des oiseaux :
Les oiseaux migrateurs
Birds of Passage – A Secret Journey Through the Skies
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