Ce qui m’inspire au quotidien. Des tranches de vie, des observations, des réflexions, parfois sérieuses, parfois drôles. Avec toujours l’humain comme trame de fond.

Le ruban blanc du 6 décembre

Montréal, été 1997. Il fait chaud cette nuit-là. La porte-patio de ma chambre est ouverte. Elle donne sur la rue. J’entends les cris d’une femme. Je me réveille en sursaut. Je me précipite hors de mon lit pour voir ce qui se passe.

Je vais t’appeler Josée, car je n’ai jamais su ton prénom. Tu es là, figée, au milieu de l’escalier en colimaçon du bâtiment juste en face de chez moi. Tu portes une main à ta joue. Quelqu’un t’a giflée ou frappée. Tu es agitée et tu pleures. Je n’ai pas pris le temps de mettre mes lunettes, mais je distingue que tu as les cheveux longs bruns et que tu es probablement dans la vingtaine.

Un homme te parle d’en haut. Qui est-il ? Ton amoureux ? Un amant ? Un agresseur que tu ne connais pas ? Un peu de tout cela ? Je ne me souviens plus de la teneur de la discussion, mais vous sembliez négocier. Je suis sous le choc. Je n’ai jamais rien vu de tel (même si je vois flou à ce moment-là).

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Je ne suis pas intervenue pour toi et en y pensant aujourd’hui, je m’en veux tellement.

Es-tu encore vivante ? Si oui, as-tu souvent été traitée de la sorte ? Si oui, t’en es-tu sortie ? As-tu trouvé de l’aide auprès des tiens ? Ou dans un centre pour femmes en difficulté ? As-tu un amoureux (un vrai, cette fois) ? As-tu des enfants ? Un travail ? Je souhaite au plus profond de moi que le respect et la tendresse fassent maintenant partie de ta vie.


Tu t’appelles Marie. Tu as vécu la violence, l’abus, la pauvreté. Tu as été mère monoparentale au foyer. Tu as élevé cinq enfants, de deux pères différents. Tu as eu le courage de partir à temps. Tu t’es reconstruite de A à Z. Tu as changé de région, as appris à conduire, as étudié et trouvé un emploi. Ton vécu sera ton passeport vers la lumière. Tu rayonnes et deviens une référence dans ton milieu.

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Tu t’appelles Karen. Tu as réussi à te sortir plusieurs fois de ton pattern amoureux. Tu as maintenant l’instinct de fuir pour te protéger. L’expérience et tous tes outils t’ont donné cette capacité à t’éloigner de situations où tu sens que quelque chose cloche. Je te souhaite que cet homme-là soit le bon et que ton intuition te guide toujours. Écoute ta petite voix, elle peut parfois parler très fort !


Tu t’appelles Isabeau. Tu as été agressée violemment et laissée pour morte dans la chambre de ton appartement. Le présumé suspect a été arrêté… plus de 20 ans après le délit. Comment as-tu pu survivre dans de telles circonstances ? Comment ne pas savoir pendant toutes ces années ? Comment vivre au quotidien avec des séquelles post-traumatiques : la peur, l’anxiété, les flash-back… tout cela doit être insupportable.

Sans te connaître, je te trouve forte et inspirante. Tu es capable de surmonter le pire. Je te souhaite de pouvoir fermer ce pan de ton histoire, qui a dû te hanter pendant toutes ces années. Et que la vie te soit enfin plus douce.

Photo de Dziana Hasanbekava sur Pexels.com


Tu t’appelles Cathy. Tu avais réussi à te défaire de cet homme contrôlant. Celui que tu as tant aimé t’étouffait. C’en était trop. Tu l’as quitté. Il ne l’a pas pris. Il s’est vengé. Tu n’as pu te défendre ce jour-là. Il t’a enlevé la vie.


Vous vous appelez Julie, Isabelle, Jenique, Guylaine. Vous faites partie de ces nombreuses femmes ayant trouvé la mort des mains d’un homme qui leur était inconnu. Il a parfois été identifié et arrêté, parfois parti au large pour peut-être faire d’autres victimes.


Vous vous appelez Geneviève, Hélène, Nathalie, Barbara, Anne-Marie, Maud, Maryse, Sonia, Michèle, Annie. Vous étiez 14 étudiantes vouées à un bel avenir dans le secteur du génie. Le 6 décembre 1989, à l’école Polytechnique de Montréal, vous avez croisé la route d’un tireur misogyne. Il vous a sauvagement enlevé la vie et a bouleversé à jamais celle de vos collègues, de vos amis, de votre famille. Tout le pays en a été secoué.

En 1991, le gouvernement canadien a décrété que le 6 décembre serait la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes. Pour ne jamais oublier.

Crédit photo : University of Waterloo


En mémoire de celles qui, simplement parce qu’elles étaient des femmes, ont subi cette violence gratuite, ont dû y survivre ou en sont décédées, je porte aujourd’hui le ruban blanc.

Mes références inspirantes

Film de Denis Villeneuve, basé sur les témoignages des survivants.


Page dédiée à l’événement du 6 décembre 1989. On y retrouve notamment la liste des activités annuelles de commémoration.

Crédit photo : Polytechnique Montréal

Encore cette année, à 17 h 10, heure où les premiers coups de feu ont été tirés, 14 faisceaux illumineront le ciel au-dessus du Mont-Royal. Ils seront allumés un à la fois, à quelques secondes d’intervalle, à l’appel du nom des 14 victimes.  L’événement sera diffusé en direct sur les comptes de médias sociaux institutionnels de Polytechnique Montréal, dans FacebookLinkedInYouTube.


Récit de Christine Carreta, dont la sœur Cathy a été assassinée en 1998.


Récit de Pierre-Hugues Boisvenu, l’un des fondateurs de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues. Sa fille Julie a été assassinée en 2002.


2 réponses à « Le ruban blanc du 6 décembre »

  1. C’est poignant comme texte. Tellement bien écrit dans la sobriété et le respect. J’adore. Il faut se rappeler, toujours et prendre les actions pour éviter le plus possible ce genre de crime atroce. Bravo à toi de partager un si beau texte.

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